
Malines, un de mes « villes
de cœur », avec Leuven et Louvain-la-Neuve bien sûr. Je la connaissais
déjà dans les années 40. Un de mes grands-oncles était percepteur des postes à
Nekkerspoel et vers 1950 notre famille avait assisté à la grande procession
d’Hanswyck avec sa veuve Octavie. C’était la fête du renouveau de Malines après
des bombardements massifs et meurtriers. Il était dangereux de loger près des
gares. Pendant la guerre on avait proposé aux séminaristes d’être accueillis
dans les fermes familiales de leurs condisciples. Avec la remarque « Vous
allez habiter avec les sœurs d’autres séminaristes, faites attention, ce sont
de saintes filles, mais ce sont les cierges bénits qui brûlent le mieux.
Dans le cortège de 1950 je n’ai
pas oublié un groupe folklorique d’ « éteigneurs de lune », « Maaneblussers »
selon l’orthographe de mon enfance. C’est le sobriquet donné aux Malinois qui
pendant l’hiver de 1687 avaient mobilisé seaux et échelles pour un incendie qui
n’était en réalité que le reflet orangé de la Lune dans les vitraux de la
cathédrale Saint-Rombaut.

J’ai vécu pendant 3 ans dans
cette superbe ville lorsque, dans ma première vie, je fus étudiant en théologie
au grand séminaire de la rue de Mérode. Ce samedi j’ai retrouvé avec délices rues
et ses bâtiments anciens. Si vous aimez les villes flamandes, ne ratez pas
Malines, à moins d’une demi-heure de train de Bruxelles.
Dans Saint-Rombaut, j’avais
participé le 10 aout 1961 aux funérailles du Cardinal Van Roey. On enterrait
une époque, on mettait au caveau un des derniers Princes de l’Église. Son
successeur Suenens fut un prince turbulent. Dans la cathédrale j’étais très
proche de lui car, très bon élève en liturgie, j’avais été nommé
« caudataire ». « Votre nouveau caudataire, éminence »
avait dit le chanoine Rabau. Je suivais le Cardinal dans tous ses déplacements
en tenant la longue traine, sa « cappa magna ». Trois mètres derrière
lui, pour Van Roey cela devait être cinq, Suenens avait restreint le faste mais
seulement de 40%. L’occasion de parler un peu seul à seul avec lui dans la
sacristie et plus tard dans son palais.
En 1965 il m’avait convoqué pour
parler biologie et morale. Nous avons échangé ensemble comme si le contrôle de
la reproduction n’était pas vraiment un gros problème. Il était sur ce point
assez proche de professeurs de l’ULB. Cette conversation a déterminé le choix
de ma thèse de doctorat et donc de mon enseignement à l’UCL. Hélas, dès 1968,
désavoué par Humanae Vitae sur les problèmes éthiques, Suenens s’était replié
dans une extrême prudence, tempérée heureusement par la doctrine traditionnelle :
le dernier mot reste à la « conscience personnelle ». Moi qui avais
été envoyé en éclaireur sur la question de la biologie et des convictions, je
me suis retrouvé abandonné bien au-delà des lignes de repli de Suenens. Il s'est lancé alors sur le terrain moins miné des mouvements charismatiques. Des amis m’ont
dit que j’avais été « satellisé ».
Tout ceci pour expliquer que le
passage du siège épiscopal à un nouvel archevêque, ce 12 décembre 2015, était
pour moi l’occasion de retrouver des lieux très chers. Les journaux ont raconté
cet évènement, présenté les choix de Joseph De Kesel, assez différents de ceux
de son prédécesseur André Léonard. Je retiens que la « doctrine » et
la « morale » ne sont pas les cœurs de la foi. Ouf !
Beaucoup d’espoirs reposent sur
le nouvel archevêque. En allant photographier le nouveau siège liturgique de
l’évêque, sa cathèdre, j’ai vu qu’elle était en verre. Est-ce pour annoncer un
règne de transparence ? Je suis intrigué par son blason. Une brebis et une
ville. Une ville libre, dans et hors les murs ? Une brebis libre ?
Parfois broutant dans l’enclos sur un sol trop piétiné, et très souvent courant
dans les prés d’herbe fraiche. « Elles vont et viennent » dit
l’Evangile. Beaucoup d’espoirs à Malines-Bruxelles après un quinquennat
difficile. L’assemblée a offert à Joseph De Kesel une « standing ovation »
sonorisée par de très longs applaudissements. Ses premières interventions sont
prometteuses. À suivre.
Quelques phrases glanées ici et
là. Bien dans le prolongement de Vatican II dans sa Constitution pastorale
« Gaudium et spes », sur « les joies et les espoirs, les
tristesses et les angoisses des hommes de ce temps ». J’aime me souvenir
que lors d’une étape de sa conception, ce texte s’est appelé « schéma de
Malines ».
Selon Joseph De Kesel :
·
« L’Église doit rester une communauté ouverte, qui
ne s’isole pas de la société. »
·
« Je suis profondément convaincu
que l’Église est en crise mais, pour moi, le mot crise est un concept positif.
C’est à dire que c’est un moment de changement. Il faut accepter la situation
telle qu’elle est aujourd’hui et, à partir de là, construire un avenir nouveau
»
·
« Être croyant n’est plus un
réflexe spontané, alors que l’Église était omniprésente jusqu’aux années 50 et
avait une forte influence et position »,
·
« La séparation entre l’Église et
l’État est très importante et les autorités doivent être neutres, mais la
société elle-même n’est pas neutre. La religion est présente dans la société. »
·
« Une Église qui reste ouverte et
ne s’isole pas de la société. Une Église qui existe pour une conviction mais a
également un grand respect pour ceux qui ne partagent pas son idéologie. »
J’ai bien aimé les intentions de
prières en différentes langues, y compris en italien, espagnol et araméen. Les
premières intentions en français et en néerlandais ont été reprises dans
l’assemblée dominicale du 13 décembre à ND d’Espérance (Louvain-la-Neuve
Bruyères). -Tout ceci dit je dois tout de même exprimer une très grande
déception.
C’était une cérémonie
anachroniquement, horriblement, désespérément masculine. À part la diversité
des langues, la sobriété des vêtements, les photos numériques et la qualité de
l’homélie, cela aurait pu être une passation de pouvoirs du temps du Cardinal
Van Roey il y a plus de 50 ans.

Un long cortège d’hommes :
collecteurs de Saint-Rombaut, 30 diacres, 140 prêtres, 20 évêques… Tous les
évêques belges étaient présents, ainsi que trois évêques des Pays-Bas, dont le
Cardinal Eijk, et l’évêque auxiliaire de Lille. À moins que je n’aie pas tout
vu, les femmes n’ont été mises en évidence que pour l’accueil des invités et
pour les intentions.
Ce maintien de la tradition est-il
lié à cette cathédrale ? Je me souviens qu’en 1962 on ne donnait pas la
communion à la grand-messe chantée. Pour communier les fidèles devaient
assister à une messe plus matinale. Une dame s’est présentée et a demandé la
communion. Effarement dans les rangs des chanoines. Finalement un prêtre est
allé jusqu’au tabernacle. La dame était effarée d’avoir troublé l’ordre
séculaire.
J’étais furieux. Je suis allé
voir immédiatement le chanoine Rabau et je l’ai engueulé. On était au début du
Concile avec un texte sur l’évolution de la liturgie. Rabau mon professeur
s’est excusé comme un élève pris en faute et s’est excusé en murmurant
« cela ne n’arrivera plus, Paul ! »
À la même époque, le professeur
Robert Blomme m’avait demandé de repérer à la bibliothèque des références sur
la place des hommes et des femmes chez les Pères de l’Église. J’ai contribué ne
serait-ce que quelques minutes à la préparation de textes conciliaires de
Vatican II. J’aurais aimé que comme le désirait Pierre de Locht, cela rendent
égaux « femmes et hommes dans l’Église »

Ce samedi j’ai éprouvé une vraie déception.
Au temps où dans l’Église des femmes ont la charge de paroisse et même d’unités
pastorales plus larges, leur présence était samedi « insignifiante ».
Pour la prochaine fois, en 2022, j’espère qu’on aura un cortège et un chœur
enfin équilibrés. Si l’Église veut être crédible dans la société civile elle
doit d’urgence s’aligner sur l’évolution dans l’équilibre des genres, même
lente et imparfaite, des différentes professions dans le monde. Comment
laisse-t-on survivre cet archaïsme justifié par une anthropologie
désuète ?
Moi je ne prie plus pour les
vocations sacerdotales. L’Église n’a pas à se lamenter. À part le cœur du
Baptême et de l’Eucharistie elle a l’entière maitrise de ses sacrements. Les
fondateurs n’ont pas déposé de statuts décidant de l’accès à telle ou telle
tâche. Pourquoi ne pas renouveler l’image des ministères, y compris les
ministères au service de l’unité, en levant les interdits professionnels ?
Qu’est-ce qui empêche l’Église de lever les barrières de genre (de sexe),
d’état civil, d’âge, de durée d’engagement, d’orientation sexuelle, de
profession exercée (sauf les conflits d’intérêt qui peuvent être temporaires),
… En maintenant l’indispensable « discernement », une formation
solide, la collégialité à tous niveaux, l’accueil par une assemblée de fidèles…
Tout cela l’Église le peut « sans
délai aucun ». Rien n’empêche de faire monter dans le chœur des hommes et
des femmes qui collaborent de fait au service de l’Église locale. Pour parler
du diocèse de Malines-Bruxelles, la liturgie de la Paroisse universitaire
flamande met les membres, hommes et femmes, de l’équipe sur un plan d’égalité,
y compris devant l’autel. Ce n’est qu’au moment des paroles de la consécration
qu’un prêtre ordonné avance d’un pas, pour être en conformité avec la pratique
actuelle de l’Église universelle.
Voilà. Je dis à la fois ma
déception et mon espérance. Dès la fin des années 60, j’avais bien anticipé et
accompagné le développement de l’informatique, de l’écologie (« Nous
n’avons qu’une seule Terre »), des neurosciences… Je ne m’étais pas trompé,
on me le dit souvent. Mais j’avais vraiment cru que dès les années 70, femmes
et hommes seraient « égales-égaux » dans mon Église, pour toutes les
fonctions, pour tous les services. C’était une lourde erreur et depuis 40 ans
je me sens mal à l’aise dans des concélébrations qui ne concernent que des
mâles.

Peut-être le nouvel archevêque
pourra-il contribuer puissamment à cette égalité fondamentale et donner un
signal au monde entier. Ce sera peut-être dans un premier temps pour l’Europe
occidentale, peut-être pour quelques pays si le Vatican est frileux.
Après la cérémonie je me promène
dans la ville. À partir de la place où Charles-Quint a joué enfant, je regarde,
je photographie la tour massive de Saint-Rombaut. Elle se voyait pointer à 167
mètres, elle se contentera de 97 mètres. Finalement je la verrais mal avec un
clocher pointu.
Je passe quelques instants sur un
pont de la Dyle, cette rivière dans la vallée de laquelle je vis depuis 60 ans
à Leuven, Malines et Louvain-la-Neuve. Je me sens Brabançon, le Brabant des
trams vicinaux de jadis mordant un peu sur Ninove, Alost, Malines. Survivant de cette
culture bilingue que je voudrais relancer un peu, si peu, par le jumelage entre
Leuven et Ottignies-Louvain-la-Neuve. Ce samedi j’ai goûté pendant une
après-midi à une Malines multiculturelle, multiconvictionnelle. Un beau défi.